Régime d’Évolution Supérieure
 
 
Paul Carton
 
 
 
 
 
Le régime végétarien est le régime idéal de l’homme. Nombreux sont les arguments qui plaident en faveur de cette opinion. Il y a d’abord les raisons d’ordre matériel, les plus couramment invoquées par les auteurs végétariens, par les médecins de tendance végétarienne, par les malades qui ont trouvé la guérison matérielle en devenant végétariens.
 
Brièvement résumées, les raisons matérielles d’adopter la nourriture végétarienne, c’est-à-dire non cadavérique, composée exclusivement de fruits, de légumes et de produits animaux, transmetteurs  de vie (lait, œuf, fromages, miel) sont les suivantes.
 
L’organisation anatomique et les caractéristiques physiologiques de l’être humain sont celles des frugivores (dentition, estomac, intestin, ongles, sécrétions digestives). L’instinct alimentaire chez les enfants, les pousse à la maraude des fruits et des légumes, jamais à subtiliser un morceau de viande crue à l’étal d’un boucher. Tout ce qui est cadavre répugne et met le goût, la vue, l’odorat en rébellion. Il a fallu les artifices du feu et de la cuisine pour faire accepter la mastication de morceaux de cadavres d’animaux ou de poissons. [1] En outre, le cœur et la conscience se révolteraient, chez la plupart des gens, s’il leur fallait massacrer eux-mêmes les bêtes dont ils acceptent de se nourrir.
 
Que le régime végétarien soit légitime, non seulement ces faits théoriques l’établissent, mais quantité de motifs d’ordre pratique l’attestent. Des peuples entiers sont végétariens stricts (Hindous), des organisations religieuses ont imposé de tout temps le régime végétarien à leurs adeptes (Pythagoriciens, Yogis, Trappistes, etc.). Des malades, victimes du régime carné, se rétablissent souvent, d’une façon quasi miraculeuse, en cessant la viande passagèrement ou définitivement. Enfin, dans des familles, qui sont strictement végétariennes de longue date (30 ou 40 ans), on peut observer que de grands enfants sont bien développés et restent préservés de toute maladie sérieuse,  parce qu’ils n’ont, jamais de leur vie, mis dans leur bouche le moindre morceau de viande ou de poisson ou de coquillage ou de crustacé.
 
Tous ces faits matériels sont probants. D’ordinaire ce sont les seuls que l’on aligne pour démontrer l’excellence du régime végétarien et pour vanter les bienfaits organiques de ce régime. Et pourtant, il existe d’autres raisons qui militent en faveur du régime végétarien, et qui, en même temps, éclairent singulièrement sur les avantages que l’on en peut retirer et sur les obstacles que son application rencontre si fréquemment dans les milieux civilisés. Ce sont les raisons les raisons morales et spirituelles. En effet, le régime végétarien est avant tout un régime moralisateur et spiritualisant. Et cela à un point tel qu’on a pu dire qu’il est le régime de sagesse dont seuls les initiés et les suffisamment évolués puissent s‘accommoder indéfiniment, en bénéficiant de ses avantages dans leur plénitude.
 
Au point de vue mentale d’abord, le régime carné apporte aux sujets carnivores les imprégnations abêtissantes de la chair, des viscères et du sang des animaux dont ils se nourrissent. Même les influences impondérables  d’angoisse, de peur, de souffrance ressenties par les animaux apeurés par l’odeur du sang et torturés dans les abattoirs, ou poursuivis et abattus à la chasse, imprègnent les tissus cadavériques, s’assimilent au cours de la digestion et se communiquent ensuite aux humeurs et au fluide nerveux, sans compter les souillures immondes des matières fécales, des objets malpropres et des mains dégoûtantes qui dépècent ensuite les cadavres des bêtes.
 
Au point de vue spirituel enfin, la nourriture cadavérique possède une action nettement dégradante, passionnelle et matérialisante. Et cela les religieux modernes, prêtres et pasteurs, semblent totalement l’ignorer, pour la plupart, quand on songe à l’indifférence avec laquelle ils prennent des repas chargés de viande, qu’ils accompagnent d’ailleurs d’autres produits tels que boissons fermentées et tabac qui sont aussi déséquilibrants et aussi empoisonnants pour l’esprit que pour le corps.
 
Ces influences nocives  de la nourriture carnée sur la mentalité des individus sont pourtant faciles à mettre en évidence. C’est ainsi que l’habitude de la tuerie et de la nourriture excessivement carnée fait se développer chez les garçons bouchers des violences de caractère et des manières brutales, des duretés du cœur et des poussées passionnelles anormales.  Les peuples qui se nourrissent principalement de viande et de sang de porc (jambon, saucisses, boudin) (que la loi moïsiaque interdisait si justement) se caractérisent par la lourdeur de leur esprit, l’épaississement de leur organisme, la brutalité de leurs manières, leur fureur dans la destruction, leur culte intensif de la force matérielle, la prédominance de leur voracité alimentaire. Au contraire, les peuples à tendance plus végétarienne ont davantage de délicatesse d’esprit, de sveltesse des formes, de douceur du caractère, de sentiments élevés, de retenue alimentaire et ils possèdent une plus nombreuse élite spirituelle (artistes, saints).
 
Au point de vue de la propreté morale et des progrès spirituels, le genre de régime que l’on suit a donc une importance considérable. Les sages et les saints s’en étaient  bien rendu compte. Le régime des Pythagoriciens était strictement végétarien. Les Yogis, aux Indes, s’abstiennent de chair animale pour trois raisons: par compassion pour les bêtes qui sentent et qui évoluent comme nous; par esprit de dématérialisation, pour éviter d’incorporer à leur personnalité des éléments alourdissants qui entravent l’ascension de leur être; par pureté organique, en écartant de leur nourriture des produites cadavériques et toxiques. Quantité de saints furent abstinents de viandes et de poissons, dans le but d’éviter souillures, tentations passionnelles et de s’imposer une dématérialisation  progressive par un renoncement alimentaire, conjugué avec le renoncement spirituel. 
 
La conduite de la meilleure évolution demande, en effet, une série de renoncements synthétiques à tout ce qui est bas et matérialisant. On a trop oublié, de nos jours, ces nécessités de  préservation mentale et d’élévation spirituelle, sous l’emprise des données de la médicine matérialiste qui n’a considéré dans les aliments que leur valeur chimique et calorifique et nullement leurs actions dégradantes pour le corps comme pour la mentalité.
 
Cette influence hautement spiritualisante du régime sans viande a d’ailleurs été reconnue par les mystiques de tous les temps. Görres [2] entre autres, l’a mise en relief d’une façon qui mérite d’être citée.
 
«La mystique», écrit-il, «dont le but est de purifier l’âme et de la dégager du corps, doit donc exercer une surveillance sévère sur ce commerce journalier entre l’homme et la nature. Or, ce commerce s’accomplit  par un double procédé: celui de la nutrition et celui de la respiration. Par le moyen du premier, nous nous assimilons l’eau et la terre et par le second l’air et le feu et comme les deux premiers éléments sont les plus grossiers, et qu’ils sont introduits le plus souvent dans l’organisme sous la forme de nourriture et de breuvage, c’est particulièrement sur ces deux choses que la mystique doit toujours avoir l’œil ouvert. Les aliments par lesquels nous réparons nos pertes doivent avoir subi une certaine préparation, et c’est dans le règne organique que Dieu veut que nous allions chercher notre nourriture. L’eau seule fait exception sous ce rapport; aussi est-celle considérée moins comme un aliment que comme un dissolvant, qui hâte et favorise la digestion des substances que nous ingérons dans notre organisme. Tout ce qui appartient au règne organique peut donc servir à notre alimentation.»
 
« Mais, l’homme qui se sent appelé à une vie supérieure, ne croit pas pouvoir faire usage de cette permission divine dans toute son étendue. Et d’abord il s’interdit toutes les substances animales, quoiqu’au fond, dans l’échelle de la création, les animaux soient placés plus haut que les végétaux. La mystique exclut donc tout ce qui appartient de près ou de loin au règne animal; et, lorsque l’on considère les choses de plus près, on voit qu’elle est en cela dirigée par un instinct vrai et supérieur.  En effet, l’animal vit d’une vie qui lui est propre, il a une individualité très prononcée, et cette vie propre ne peut lui être enlevée que par le coup de la mort, qui est toujours accompagné de souffrance. La conscience des peuples de l’antiquité sentait déjà ce qu’il y a d’inconvenant dans cet acte, par lequel l’homme ôte à l’animal une vie qu’il a reçue de Dieu; et pour calmer leurs scrupules sous ce rapport ils supposaient une permission des dieux.» 
 
« Cette permission divine, toutefois, n’a lieu que pour ceux qui sont appelés à une vie commune et ordinaire; et il semble convenable que celui qui veut vivre d’une vie supérieure ait horreur du sang, et ne fasse pas de la mort son pourvoyeur. Il est encore un autre rapport sous lequel il ne lui convient pas de se nourrir de chair.» Il est encore un autre rapport sur lequel il ne lui convient pas de se nourrir de chair. La chair, en effet, a pris dans la vie, dont elle a été le siège et le véhicule, une direction et comme un caractère qui lui est propre; et  ce caractère est l’expression naturelle et extérieure de l’ensemble des appétits, des passions et des instincts particuliers qui l’ont distinguée pendant la vie. Ces instincts sont devenus chair en quelque sorte dans l’animal. Introduits dans une autre vie, ils y trouvent un noyau auquel ils peuvent s’attacher et par le moyen duquel ils peuvent prendre un corps et une forme dans l’organisme. Ce droit de domicile accordé en quelque façon par l’homme aux appétits de la brute n’a pas de graves inconvénients dans la vie ordinaire, parce que l’homme alors possède une force physique qui leur est supérieure, et qui lui permet de les dominer et de les absorber.  Mais celui qui Dieu appelle à une vie plus dégagée du corps doit avoir déjà par lui-même une nature plus tendre, plus délicate, plus accessible aux impressions extérieures et dont le moindre choc peut troubler l’harmonie; une nature qui ressent les nuances les plus déliées de cette symbolique naturelle que les autres ne soupçonnent même pas. Il n’est donc pas étonnant qu’une nourriture trop substantielle ou trop abondante produise en elle les effets qui sont inconnues  aux premiers.»
 
Le régime végétarien doit donc être envisagé non seulement comme un facteur de santé organique, mais, par-dessus tout, comme un moyen très puissant de réduire la mortalité et d’accroître la spiritualité individuelles.
 
En face de pareils avantages, quelle est la conduite à tenir en médicine naturiste, quand il s’agit de diriger des consultants, spirituellement et matériellement? Vingt-cinq années de pratique diététique et de direction naturiste synthétique nous ont conduit à formuler la règle suivante: établir et vanter  avec insistance l’excellence du régime végétarien dans l’enseignement théorique et ne le jamais prescrire systématiquement en pratique courante. Cette ligne de conduite qui peut sembler contradictoire et même paradoxale repose sur l’expérience des faits et sur les principes suivants.
 
La meilleure évolution humaine est une affaire d’adaptation progressive et surtout une question de libre choix et de décision personnelle, en d’autres termes, d’étape et de mérite individuels. Vouloir mettre d’emblée des sujets du régime carné au régime végétarien radical et définitif sans adaptation organique préparatoire et sans réforme spirituelle préliminaire, c’est imposer la plupart du temps un bouleversement humoral et psychique tel, que la réforme ne peut être acceptée, ni consolidée, ni bienfaisante.  Certes des sujets peuvent sans inconvénients graves et même avec grands avantages, devenir subitement, radicalement et définitivement végétariens, mais ce sont là des cas en somme exceptionnels qui ne sauraient faire passer sous silence la multitude de cas où des sujets, même de bonne volonté, n’ont pu persister dans le régime végétarien, sans essuyer des ennuis majeurs, organiques et nerveux.
 
Chez un grand nombre de personnes, en effet, on observe en clinique qu’après une brillante période d’amélioration corporelle et d’allègement psychique extraordinaire, dûe à l’abstention de chair animale, se produisent des troubles déconcertants d’inadaptation organique et des bouleversements de la régulation nutritive qui, parfois, logent les sujets comme dans une impasse, dont il est très difficile de les sortir. Ne pouvant plus avancer et se trouvant très incommodés par des essais de recul, ils menacent de s’effondrer organiquement et mentalement. Quelques-uns même n’arrivent pas à s’en remettre. Et ces sujets qu’on a fait s’aventurer dans une voie trop abrupte pour leurs valeurs physiologiques et leur puissance spirituelle se font trop souvent ensuite détracteurs du meilleur des régimes et deviennent rebelles aux améliorations mentales.
 
Cela s’explique par ce fait, nous le répétons, que la vie est évolution et non pas révolution et que chacun doit être mené d’après l’étape à laquelle il se trouve personnellement situé. Il s’ensuit que, sans compréhension suffisante et sans libre exercice du jugement, du choix et de la persévérance individuels, en un mot sans l’effort réformateur personnel, rien de logique ni de durable ne peut être réalisé.
Le médecin ne peut donc se substituer entièrement à son malade, ni demander à des peu évolués ni à des sujets, alourdis par des échéances à solder et par de très pesantes viciations corporelles et spirituelles, de se corriger brusquement et absolument, en devenant subitement des purs, des sages et même des saints. Le rôle médical naturiste doit donc se limiter à placer le pied du malade dans l’étrier et à le laisser lui-même s’enlever, se mettre en selle et accomplir l’effort de redressement et de stabilisation, qui lui permettra de gagner sa récompense et son meilleur avenir, en un mot de mériter.
 
Sauf dans les cas où une purification massive s’impose (état aigu grave ou période de sérieux déséquilibre dans un état chronique) et où l’on doit, pour une période plus ou moins longue, prescrire un régime végétarien, sauf encore pour la conduite du régime chez les enfants qui, pour la plupart, ne doivent pas manger de viande avant l’âge de 5 ans, sauf enfin dans certains cas cliniques vraiment indiqués, on ne doit donc recommander d’abord que le régime carné atténué. Puis, on surveillera les réactions organiques du sujet et les progrès de son psychisme.
 
La plupart des gens en restent à cette étape d’amélioration relative qui correspond à leurs possibilités organiques et mentales. D’autres se dégagent spontanément et progressivement du régime impur et matérialisant, en espaçant de plus en plus les prises de viande. De moins nombreux, enfin, arrivent à la parfaite compréhension de la nécessité d’opérer en eux la réforme synthétique individuelle et aboutissent à la pratique réfléchie des renoncements multiples qui conduisent à la vie mystique, où l’on se place soi-même pleinement dans l’ordre naturel et surnaturel et où l’on n’a plus alors qu’à s’abandonner comme un enfant à la direction infaillible et è la protection toute-puissante de la Providence.
 
Dans le parcours de ces étapes, le médecin naturiste joue un rôle primordial, en guidant non seulement l’application du régime végétarien, bien synthétique et bien ordonné par rapport à l’individu et aux circonstances si variables de saisons et d’années, mais encore en restant juge de la vitesse à laquelle les progrès doivent s’accomplir et même des reculs qui peuvent être parfois imposés par prudence ou même par punition en quelque sorte, à l’égard de sujets trop pressés, trop ambitieux ou encore trop profondément ancrés dans des exagérations mentales et des incompréhensions spirituelles. Ce sont ces sujets, en effet, qui à la longue, pâtissent physiquement et mentalement des règles de pureté alimentaire trop radicales pour leur état de matérialisation ou de rébellion ou d’exagération psychique et organique. Aussi se trouve-t-on assez souvent obligé, devant les troubles survenus, de les ramener en régime moins pur, afin qu’ils travaillent avec plus de patience et de minutieuse attention à leur progrès, en acceptant d’être rangés encore pendant un temps plus ou moins long au nombre des inaptes à la parfaite abstinence et à la grande sagesse.
 
Quant aux personnes qui ont abouti de leur plein gré et progressivement au régime végétarien et qui en tirent de sérieux avantages, d’emblée ou une fois de légers troubles d’adaptation effacés (constipation relative, asthénie passagère, baisse transitoire du poids), on doit nettement leur conseiller de ne plus déroger à ce régime qui est le meilleur pour les résistances organiques et pour l’amélioration mentale.
 
Au total, en procédant par démonstrations synthétiques plus que par seule autorité, en recommandant les transitions prudentes et en laissant agir l’expérience individuelle, on amène à la pratique végétarienne beaucoup plus d’adeptes que par des ordonnances systématiques et aveugles.
 
En terminant, faisons encore remarquer que la prescription et la conduite du régime végétarien ne doivent pas être envisagées seulement comme une œuvre de traitement purement alimentaire et de guérison simplement organique, mais aussi comme une réforme qui déborde le plan matériel et qui doit se poursuivre en accord avec la conduite naturiste synthétique de l’individu intégralement connu et observé.
 
NOTES:
 
[1] Il y a lieu de mettre à part certains cas exceptionnels, motivés uniquement par des circonstances extraordinaires: peuples primitifs que n’ont aucune nourriture à leur portée (Esquimaux, par exemple), mais qui pourtant sont très friands de produits végétaux, quand ils en trouvent. (Paul Carton).
 
[2] Görres – «La Mystique divine, naturelle et diabolique», T. I, p. 194.
 
000
 
Reproduit du livre «Enseignements et Traitements Naturistes Pratiques», Dr. Paul Carton, Deuxième Série, N. Maloine, Éditeur, Paris, 1928, 392 pp., voir pp. 298-308.
 
000
 
Le texte «Le Régime Végétarien» a été publié dans nos sites web associés le 22 mars 2021.
 
000
 
Voir d’autres titres en français.
 
000